je m'excuse d'avoir arrêté d'écrire sur mon blogue.
je sais que tu voudrais que je continue, que je retrouve le courage. c'est juste qu'écrire ici sans toi pour me lire, ça me fait mal. ça a moins de sens. j'ai l'impression de parler dans le vide. de toute façon, les derniers mois, j'ai juste fait ça, t'écrire. j'ai plein de choses à dire, l'application de notes sur mon téléphone peut en témoigner, mais je ne sais plus comment écrire ici, sans toi pour me répondre.
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aujourd'hui, je me sentais comme un personnage de film. le costume d'un artiste des années 40, la musique des boutiques, l'esprit libre. finalement, je me sens souvent comme un personnage de film, rarement le même plus que deux semaines, mais toujours un personnage avec des caractéristiques et des styles bien différents. sauf qu'aujourd'hui, contrairement aux autres jours, le décor semblait comprendre ma pensée et s'y adapter. les rues du Vieux-Québec me parlaient, chaque boutique m'appelait, ma compagne de visite de musée vibrant sur le même rythme. et alors que tout allait, que les rues m'émerveillaient, que le vent frais frôlait mes joues rieuses, que la musique traditionnelle réjouissait mes oreilles, ton fantôme est venu se loger contre mon cœur. un peu de violon, un homme qui tape vivement du pied, et ma mémoire s'ingère. tes pieds pantouflés devant la télé se joignant au rythme de la musique de ta jeunesse. souvenir heureux de samedis soirs. parfois ton fantôme essaie tellement de me faire sourire que ça me transperce les poumons. peut-être que tout allait trop bien. j'étais trop émerveillée, trop en admiration devant la qualité presque cinématographique du décor, j'avais le cerveau trop dans mes histoires, l'imaginaire trop vivant. peut-être que j'avais besoin de ta douce nostalgie pour me ramener à l'ordre, pour me faire redescendre sur terre. quelques larmes ont coulées sur mes joues, quelques larmes que j'ai tenté d'essuyer en fuyant cette scène trop heureuse, quelques larmes que j'ai ravalées en silence, en souriant aux beaux paysages, et aux bras autour de moi. ton fantôme de souvenir près de mon cœur, je l'ai laissé peindre de bleu mon regard pour quelques secondes. seulement quelques secondes. douce nostalgie, quand tu nous prends, il ne faut pas te retenir. ce matin, 8h45, couchée dans le méga-grand-lit-de-mon-frère-parce-que-ma-mère-emprunte-ma-chambre, je retrouve une vidéo sur mon téléphone. une vidéo banale que j'avais prise l'an passé, alors que je me promenais dans la Gaspésie. je me rappelle avoir voulu montrer le paysage à mon amie, et donc munie de la qualité médiocre de mon cellulaire, j'avais capturé ce paysage. le fleuve à perte de vue, du bleu sans savoir s'il est ciel ou mer. c'était une vidéo banale. c'était. parce que dans cette vidéo-là, alors que c'était ni le sujet principal ni même important, mon papa parle. pendant un gros 30 secondes, mon papa parle. normalement, un bout d'anecdote. voilà un an, c'était pas important, même que peut-être je l'aurais mis sur mute. mais ce matin, mon cœur a un peu brisé en entendant sa façon de parler un peu sur le bout de la langue, ses intonations si singulières et pourtant si familières, son accent québécois caché sous un français impeccable. alors après avoir essuyé mes larmes, je suis montée et j'ai fait écouté à maman. je souhaite à personne voir le visage de sa mère se décomposer comme le sien. sentir les larmes arriver avant même de les voir couler sur ses joues. moi qui me suit souvent blottie dans ses bras ces derniers temps, je me retrouve à accueillir sa tête et ses larmes sur mon épaule. du haut de mes presque 20 ans, je ne sais pas comment gérer ça. je ne sais pas comment gérer la peine de mon roc. alors je fais la seule chose que je sais faire quand ma mère pleure, je pleure avec elle. tout le monde disait que sa voix ressemblait à celle de mes frères. moi, je trouvais pas vraiment. sauf quand j'entendais quelqu'un en bas, là, je pouvais pas différencier personne des gars. mais je connaissais tellement chaque voix, associée à chaque personnalité que je pouvais pas les mélanger. mais en entendant cette vidéo, j'ai entendu mon frère. j'ai entendu ma façon de parler un peu sur le bout de la langue des fois, j'ai entendu nos expressions familiales. cette vidéo, de banale capture d'un paysage, est devenue importante pour moi. un vestige du passé, un souvenir d'une escapade entre papa et moi, une fenêtre ouverte, une chanson pour me rappeler. pour ne jamais oublier. composé après un bref mais douloureux séjour dans une cabine d'essayage d'un magasin "taille +".7/22/2019 au début, j'avais envie d'envoyer chier toutes les filles minces. parce que dans ma tête, et dans les discours que j'ai trop souvent entendus dans les 19 dernières années de ma vie, les filles minces l'ont facile. elles peuvent magasiner sans pleurer, rentrer dans n'importe quel magasin, choisir n'importe quel vêtement, suivre n'importe quelle mode, bref, faire ce qu'elles veulent. mais après, je me suis dit que les filles que je considère mince ont soit travaillé très fort, ou sont juste bénies. pis que de toute façon, leur état change absolument rien au mien. grand bien leur fasse, celle qui ont un poids de moins sur les épaules. mais je pense quand même qu'elles l'ont, ce poids des magasins de vêtements. au début, je voulais faire quelque chose de poétique et de positif. mais au fur et à mesure de ma composition, je faisais juste bâtir ma haine. pis c'est sorti comme suit: au pire, juste… fuck les cabines d'essayage. fuck se regarder dans le miroir en soutien-gorge qui a l'air pas fini d'être fabriqué parce qu'apparemment ça vaut pas la peine de faire quelque chose de beau pour plus que du 32B. fuck les magasins qui font pas de grandeurs en haut de 6 en pantalon, pis où du large fait pleurer une adolescente de 14 ans. fuck les magasins qui donnent l'impression que les plus costauds méritent pas de se sentir beaux, pis qui font que même les petits se trouvent énormes. fuck les magasins qui refont leurs collections à chaque coup de vent, fuck les cabines d'essayage avec la lumière trop claire qui te donne l'impression que tu phosphores, fuck ceux qui pensent qu'une fille est juste belle quand elle suit des critères irréels, fuck ceux qui pensent qu'un gars est juste beau avec des gros bras pis une tablette de chocolat pour ventre, fuck ta propre façon de penser que ta vie va commencer le jour où tu vas fondre, fuck ta propre façon de juger tout le monde, marjo, y compris toi-même. québécoise qui est pas toujours totalement fière de son peuple, mais qui aime aimer ceux qui en valent la peine. peut-être que je trouve que plus les générations défilent, moins elles se nourrissent de contenu créatif de notre terroir. je suis moi-même trop souvent coupable. pourtant, c'est pas qu'il en manque, du contenu. -musique- patrice michaud, fred pellerin, émile proulx-cloutier, daniel lavoie, mes aïeux, les cowboys fringants, beau dommage, harmonium, vincent vallières. je peux pas dire que j'aime le québécois. je n'aime pas toutes ses fautes que j'associe avec un manque de classe. pourtant, les artisans québécois que j'aime ne sont pas de ceux qui essaient de bien perler. ils utilisent la langue de chez nous, l'accent d'Amérique, avec efficacité et avec beauté. j'ai compris que j'appréciais leur art car ils possèdent un vocabulaire vibrant et élevé, mais ils choisissent d'y tricoter notre québécois. ils savent manier les registres linguistiques avec justesse et connaissance. c'est ça qui est beau, c'est qu'ils brisent mes stéréotypes. pour moi, le québécois était associé avec sale, barbare et sans classe. mais ils réussissent à rebrancher les fils dans ma tête, à venir toucher mon cœur, pour me faire apprécier les nuances de mon accent. pour me faire aimer la poésie des mots d'ici. ils choisissent délibérément de mélanger les registres et ils savent le faire. -télé- district 31, mensonges, toute la vérité, trauma, une autre histoire, blue moon. je pense que je le dirai jamais assez, on fait de la bonne télé au Québec. et en grande quantité, en plus. je suis une fan des émissions américaines et même anglaises, mais c'est d'un amour différent, fier, que j'écoute la télévision québécoise. j'aime voir nos visages familiers revenir dans le petit écran, j'aime ses auteurs qui sont prolifiques, qui créent des personnages riches et diversifiés. bref, notre télé est actuelle et sait parler à tous. suffit de l'écouter. bon, je suis consciente que ce n'est que deux formes d'art parmi toutes les autres. mais c'est un bon début pour apprécier le Québec et ses artisans. parce que le Québec parle une langue inconnue de son pays, et il nous faut continuer à l'aimer avec fougue, sans gêne, et avec fierté. moi qui ne te racontait presque rien,
nous qui n'avions de conversations que par l'entremise de maman au bout de la table, j'ai envie de te dire tellement de choses, chaque jour. tu n'as jamais eu peur des mots, alors voici les miens. pour toi, pour cette version de toi que je maintiens en vie avec ces fils branchés de souvenirs, cette version que je continuerai toujours à faire vivre dans mon cœur. parce que tant qu'il bat, tu y auras maison. je me rappelle cette jupe que je portais voilà déjà 6 mois. un pagne qui me rappelait le costume de mon super-héros préféré. je me préoccupais plus de sa mort fictive que de ta vie, à ce moment. je me rappelle de tout avec tant de précision, mais au ralenti. comme dans les films. tu avais réussi à me construire une dernière intrigue, à échafauder ta dernière mise en scène. c'est vrai qu'avec le temps, la blessure se referme, s'estompe. je pense toujours à toi, différemment. mais j'ai toujours autant envie que tu sois fier de moi, que tu saches qui je deviens. on est allé voir tous les spectacles que tu avais réservés. j'aurais aimé que tu les vois, j'aurais aimé que tu viennes voir émile avec moi. entendre ton opinion sur sa poésie, sur son talent. j'aurais aimé partager tellement plus d'art futur avec toi. parce que t'avais beau dire le contraire, mon art me vient de toi, p'pa. et tu l'alimentais tellement. peut-être même qu'en partant, tu m'as laissé tous les mots qui te restaient. je suis inscrite à l'uni, pour écrire comme toi tu aurais voulu faire. j'ai une nouvelle job, je fais mes cours de conduite, (j'ai fait une égratignure sur ton char, oups.) j'ai encore plus de trous dans les oreilles, pis trois dessins indélébiles sur ma peau. un qui est comme le tien, celui que t'avais fait un peu pour moi. j'ai appris plein de choses, me semble, dans les derniers 6 mois. je pense souvent à une anecdote qui m'a beaucoup fait réfléchir. c'est la presque unique fois de ma vie où on a fait quelque chose ensemble, juste pour nous deux, juste nous deux. --- Quelques jours avant le 31 octobre 2018. Je suis assise sur le divan, l’ordinateur sur les cuisses. Papa sur sa chaise devant moi, maman varnousse dans la cuisine. Soirée habituelle chez les Bérubé. Sur mon écran, je vois le doux visage de Benoit McGinnis sur une affiche de spectacle. La pièce Des souris et des hommes commence ses représentations bientôt. Moi, dans mon grand amour des célébrités et de leur talent, je jalouse. Maudit que les Montréalais sont chanceux là-dessus. Ils ont toutes les vedettes de la télé au théâtre, eux. Moi, j’aime bien les acteurs du Québec, et y’en a deux trois à la télé que j’aimerais bien voir en vrai, mettons. D’habitude, j’essaie de pas prolonger ma douleur. J’essaie de pas tourner le couteau dans la plaie. Dans ma tête, tout me crie que ça peut juste PAS marcher. C’est à trois heures de route, c’est cher, c’est loin, pis c’est juste pas possible. Ça marche jamais, de toute façon, ma déception me crie. Mais mon petit cœur tout excité guide mes doigts, les poussent à cliquer, à m’informer. Pis là, je lâche : « Hein, p’pa, Benoit McGinnis joue dans une pièce bientôt! » Mon papa sait que je l’aime. Chaque fois qu’il chante à En direct de l’univers, qu’il joue dans une émission, qu’il apparait dans un talk-show, j’ai les yeux en feu pis je fais un bruit de souris écrasée dans une porte. Squiiiiiiiiick. Mais mon papa sait aussi que je fais ce bruit là bin souvent, en regardant la télé. Fac, la plupart du temps, il m’écoute capoter un peu pis il passe à un autre appel. Cette fois-là, sans se retourner, il me demande, détaché : « C’est quelle pièce? » Moi, je sais qu’il connait l'histoire – toute personne aussi éduquée que mon père la connait – mais je sais pas s’il l’AIME. « Des souris et des hommes. » Il me répète. « Ah…c’est beau ça. » Marjorie : 1. Contre qui j’me bats? Je sais pas, mais je marque des points. Papa : « C’est où? » Merde. Le moment fatidique où il va me dire non. J’avais pas encore nourri l’espoir d’y aller, mais c’est là que mon chien mourrait. Moi : « ….Montréal….Tu viendrais pas avec moi? » Je sais que j’aurais dû lancer la question à l’affirmative, que c’est plus encourageant. Mais à ce moment-là, mon cerveau dérape. J’ai le cœur qui bat trop vite. « On verra. » Okay, c’est pas perdu. Parce que si j’ai planté l’idée dans sa tête, c’est presque gagné. Il va y penser, faire ses recherches, pis il va tout régler. Checkez-le bin aller mon père. Le lendemain, ou le surlendemain je sais pu pis c’est pas important, mon père m’appelle pendant ma pause. Il me demande quand je suis dispo pour aller à Montréal. « Hein? » « Choisi une date entre mercredi pis jeudi, pis on y va. » On règle les dates pis les prix, pis c’est juste ça. « Okay, fac on va voir Benoit McGinnis là? » Oui. On va voir Benoit. Papa avait tout régler, en un clin d’œil. Le 31 octobre, on embarque dans le char, je branche mon Spotify pis on roule. On rit dans le char, on chante les tounes que même mon père connait. Moi, je porte pu à terre. J’ai pas beaucoup de rêves, pis j’en ai beaucoup de futiles, mais voir des artistes sensibles qui acceptent avec vulnérabilité de se présenter chaque soir pendant quelques semaines, moi, j’admire ça. Pis j'aime juste ça savoir qu'ils existent comme moi. Savoir que ma tête me joue pas plus de tours que ceux auxquels je crois déjà. Juste admirer en vrai leur talent (pis leur face des fois aussi, okay? au moins je suis honnête.) La pièce commence, je respire pu. Je n’ai d’yeux que pour Benoit McGinnis. Après ce qui me semble être 3 secondes et demie, ils saluent déjà. J’ai les larmes aux yeux parce que la fin est touchante, parce que c’est fini, parce que Benoit me regarde dans les yeux même s’il me voit pas, parce que je suis tellement contente, parce que. Ce soir, quelques mois et bien des poussières plus tard, j’ai les larmes aux yeux parce que c’était ça, mon papa. Cette intensité, cette fougue. Faire 6 heures de route pour rendre sa fille heureuse pour 1h30. Planifier tout vitement, sans regarder au temps ni à l’argent. J’aurais voulu plus me rappeler de sa présence à mes côtés à ce moment-là. Je me rappelle avoir attendu avec lui dans la Place des arts, avoir parlé avec une madame du livre qu'elle lisait. Je me rappelle sa facilité à entamer des conversations avec n'importe qui quand il attendait quelque part. Je me rappelle être partie aux toilettes et avoir retrouvée la forme rassurante de son dos au même endroit où je l'avais quittée. Je me rappelle attendre dans le hall, debout contre le bar vide. Je me rappelle sa respiration forte, sa présence costaude dans le siège à ma droite. Mais bizarrement, j'ai l'impression d'avoir retenu peu de choses. Pendant qu’il vivait sa dernière pièce de théâtre, son dernier spectacle. Le rideau était presque tombé sur sa vie, sur notre relation, et moi je n’avais d’yeux que pour un inconnu. --- je suis encore la même marmotte, ta plus jeune qui rêve de devenir une artiste. qui rêve d'écrire sans arrêt et de faire rêver les autres. mais une partie de mon cœur est mort avec toi le 18 décembre, et une partie de ma vie s'est refermée sur ta tombe, le 28. j'ai des amis imaginaires. j'en ai plus maintenant que quand j'étais petite. peut-être parce que j'ai alimenté mon monstre. je lui ai fait dévorer des pages de noir sur blanc, des heures d'écran, des tonnes de scénario. bref, ma mère avait raison. la fiction a pris contrôle de ma réalité. mon monstre imaginaire a bien grandi. évidemment, il avait comme exemple tous les meilleurs, tous mes préférés qui s'additionnaient. la liste est longue, les amis. mon monstre est beau et grand et doux et gentil et parfait. mon monstre n'a pas de défauts, et s'il en a, ils sont adorablement tolérables. avec les années, il a peaufiné ses répliques pour ne dire qu'exactement ce que je veux entendre, il a musclé ses bras fictifs pour me protéger contre les vilains, il a adoucit son sourire pour me consoler le cœur. avec les années, j'ai pu faire de mon ami imaginaire l'être que j'aime le plus au monde. celui à qui je reviens quand j'ai le cœur lourd, quand je me sens seule et abandonnée, quand je n'arrive pas à dormir. mon ami imaginaire me tenait la main partout où j'allais. je croyais l'avoir comme appui, comme réconfort. mais je ne m'appuyais que sur des nuages, sur ma propre tête qui me jouait des tours. j'ai compris que mon cœur était seul, que ma tête était malade. parce que par peur d'être rejetée ou abandonnée, j'ai rejeté toute interaction avec le monde réel. pour me protéger, j'ai préféré fuir et me réfugier dans ma zone de confort, dans le seul endroit que je contrôle complètement. parce que comment un être créé de toute pièce peut-il rejeter son créateur contre son gré? mes personnages ne vivent que par moi, ils n'ont aucune liberté d'action. ma tête est une prison dans laquelle je me suis enfermée en les créant. en apparence, j'avais l'air normal, mais dans ma tête, j'étais constamment entrain de me construire des histoires. y'a rien de mal à ça, les histoires. le problème, c'est quand elles prennent trop de place. plus de place que tout le reste. parce que mon ami imaginaire est un être égoïste, il me demande beaucoup d'attention, de concentration, de temps, de place. de cœur et d'esprit. mon ami me faisait fermer porte après porte, m'éloignait de tous en me rapprochant de lui. alors, ami imaginaire, c'est ici que notre route se sépare. peut-être un jour, tu pourras devenir un personnage que je ferai lire aux gens. tu pourras vivre sainement, couché entre les pages rugueuses d'un livre. mais tu ne peux plus vivre dans ma tête. j'ai d'autres amitiés à entretenir. quand on me demande ce que j'aurais aimé pouvoir conserver en images, je pense en premier à des choses tristes. les premières images sont évidentes. je voudrais avoir une copie des images de mes adieux à mon papa. juste cette jeune aventurière un peu nerveuse qui enlace précipitamment un papa ému. un "je t'aime" rare, mais si précieux à mes yeux. je voudrais un arrêt sur image de son visage fier et ému, mi-sourire, mi-larmes, devant sa plus jeune qui réussit. je voudrais la bande sonore de son rire franc, celle de sa voix qui chante dans l'auto, même celle de ses blagues plates, de ses "et c'est le but!" crié à presque minuit quand j'essaie de dormir. je voudrais l'entendre et le voir pour être sur de ne jamais oublier la couleur de ses yeux. maintenant, je ne peux que me regarder dans le miroir pour y retrouver cette couleur noisette. je voudrais me rappeler du dernier "à lundi!" avant son départ, avant la fin de sa vie arrêtée comme une balle dans un mur d'eau. juste pour retracer les traits de son regard si doux et si naif, qui allait se fermer avant même d'avoir vu le monde à ses pieds. je voudrais faire un film de ce dernier moment à l'aéroport nigérien, celui dans lequel mon petit bonhomme de neveu traverse le mur de sécurité pour se blottir contre moi. juste une dernière fois avant de revenir dans mon froid. juste une dernière image avant de quitter cette chaleur, cet amour, cette vie qui m'a transformée. toutes ces dernières fois, parce qu'on sait rarement quand elles le sont. ces "à la prochaine" sans prochaine, ces "à demain" sans lendemain, ces "à plus tard" qui arrivent trop tard. je sais pas pourquoi les moments tristes, je voudrais les conserver aussi près. pour ne pas les oublier, parce qu'ils font partie de moi autant que les moments joyeux, parce qu'ils forgent une facette de qui je deviens. mais je pense aussi à certaines joies, teintées de nostalgie, certes. je voudrais avoir la cassette de spirit, de mes dimanches après-midis chez les amies, juste pour redécouvrir ces imaginaires d'enfance. je voudrais avoir une compilation de tous les fous rires au travail, en cours quand on est pas censé rire, dans la cour d'école, le soir tard quand on est censé dormir, autour du feu, dans l'auto quand on est censé se calmer. bref, juste tous les rires. tous les miens, tous ceux que j'ai provoqués, tous ces sons si doux aux oreilles qui font pétiller le cœur. ma face amoureuse. devant les vrais, devant les fictifs. quand je suis tombé en amour avec les vrais, avec les personnages, avec les livres, avec les histoires. ces premières fois au travers desquelles j'ai compris qu'une porte sur le monde s'ouvrait. juste pour retomber en amour avec le monde, encore une fois. je voudrais revoir les scènes de tellement de ma vie, parce que je suis un peu curieuse et que j'aime bien tout savoir. les bloopers, les behind the scenes, les ratés, les Oscar-worthy performances, bref, un film monté comme la vie: une balance parfaite de moments drôles, de tension, de drames, de pleurs et d'amour. le genre de film que je voudrais regarder. le genre de film que je voudrais vivre. "je vais mourir bientôt." c'est une phrase si simple, mais si lourde que j'ai entendue souvent durant la dernière année. lancée bêtement, presque avec légèreté, sans vraiment vouloir faire frémir. une constatation banale, tout au plus. elle ne servait pas à faire réagir le destinataire, ni même le destinateur. une phrase balancée dans le vent, murmurée, une fourchette à la main, sans vouloir faire de vagues. et moi, toujours, sans exception, de répondre: "bin non! voyons! arrête!" ça me faisait un peu peur chaque fois, que tu t'imagines ta vie s'arrêter bientôt. égoïstement, que tu ne t'imagine pas l'impact que cela aurait sur la mienne. que tu ne saches pas l'impact de ta vie sur la mienne, même si moi, ça m'a pris ta mort pour en voir la pointe de l'iceberg. parce que je savais pas. je pensais que j'aurais encore du temps. encore des années à me blesser le cœur sur ta porte fermée, encore des années à entendre ta voix grave chanter avec moi dans l'auto, encore des années avec ta présence dans le salon, encore des années à te blâmer pour tout. je savais pas qu'en fait, tu avais raison. je savais pas que ma vie se bâtirait sans toi. que tu ne pourrais pas être fier de moi quand j'irai à l'université pour créer, quand je me marierai, quand j'aurai dans enfants, quand je deviendrai une artiste réalisée, quand je déciderai de vivre le rêve après lequel tu as soupiré. depuis, je porte ton fantôme en sac-à-dos. comme une présence familière, presque réconfortante. ton fantôme est un poids invisible, qui se manifeste en odeur, en musique, en hommes costauds aux cheveux blancs. tu continues d'exister, d'une façon qui n'appartient qu'à moi maintenant. finalement, papa, tu es mort bien tôt. ces jours-ci, je me nourris beaucoup de français. pour moi, les langues vont par périodes, par coups de cœur. j'ai passé beaucoup de temps en anglais. ma tête peut y cacher beaucoup, sans que mon cœur n'en saisisse les monts et les vallées, ni les faisceaux de lumières ou les allées sombres. quand je veux me cacher de moi-même, je vis en anglais. j'apprécie cette langue efficace, simple, avec laquelle je communique avec le monde entier. elle me fait rire, me fait pleurer, m'enchante. à travers elle, je vis des aventures, des guerres, des histoires d'amour. mais entre mon cœur et moi, on se cache beaucoup de secrets derrière ce géant rouge et bleu. on se dit des mots, mais on ne les laisse pas nous toucher, nous changer. depuis quelques jours, je redécouvre la langue de Molière. la langue de ma mère, droite, la langue de mon père, créative, la langue de mon peuple, isolée, la langue de mon cœur, expressive. cette langue si douce et complexe que j'aime, que j'aime aimer. cette langue dans laquelle j'aime créer, avec laquelle je joue, celle qui inonde mes yeux, celle qui m'ouvre l'esprit. ma langue, je la trouve belle. elle est belle pour qui sait bien la manier, et même pour ceux qui sont plus hésitants. ces jours-ci, je visite nos cousins d'outremer. chez moi, on les a toujours bien aimé, je pense. ils nous ont toujours fait rire. alors ces jours-ci, je me rappelle. je me rappelle que ma langue aussi est drôle, et que même si son public est plus petit, elle est raz-de-marée, elle rafle tout - et tous - sur son passage. je me rappelle que ma langue est touchante dans ses histoires, douce dans ses chansons, comique dans ses sketchs, poignante dans ses essais. ma langue, peu importe l'accent avec lequel elle s'habille, est ma plus grande richesse, mon plus précieux trésor, mon plus bel héritage. grâce à elle, mon cœur et ma tête ne font qu'un, grâce à elle, ils savent s'exprimer avec finesse et peuvent toucher les autres cœurs. grâce à elle, je bâtis des ponts avec ma famille linguistique éloignée. j'aime cette langue. j'aime l'Histoire, les histoires, la culture, qu'elle transporte. j'aime ce qu'elle a à dire, ce qu'elle dénonce, ce qu'elle embrasse. j'aime les gens qui la parlent, qui la chérissent, qui lui portent une attention particulière. j'aime ses artistes qui me font rire, qui me font pleurer, qui choisissent de conserver et de niveler par le beau leur langue. j'aime ceux qui se laissent toucher par sa force subtile, qui se prêtent à son jeu. ma langue n'est pas simple, elle fait peur à beaucoup. mais c'est une des raisons pour laquelle elle si précieuse. c'est parce qu'elle demande une attention constante, elle demande simplement qu'on s'y intéresse et qu'on l'aime suffisamment pour l'apprivoiser. elle se fait désirer, choisit ceux qu'elle laisse l'aimer. elle veut être protégée, enrichie. elle veut créer et toucher les cœurs de sa plume, elle veut faire vivre. elle veut vivre. elle demande à être aimée dans ses monts et ses vallées, dans ses allées sombres et ses soleils levants. elle demande à être aimée dans toute sa complexité. finalement, ma langue me ressemble. en la cultivant, je me récolte. |
Marjorie BérubéJ'écris pour calmer les tempêtes dans ma tête et pour faire le ménage dans les mots qui s'y entrechoquent. Archives
Décembre 2019
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