toi, mon petit boulet. tu me suis partout, tu colles à mes pas. tu t'assures de rendre la marche pénible, d'alourdir mes chevilles faibles. ta chaine est pas très longue et bien souvent, je sens ta rondeur me talonner. oh, je sais, petit boulet, que je t'ai accroché moi-même à ma cheville. j'sais plus où j'ai caché la clé, j'lai probablement perdue, trop heureuse de m'enchaîner. ça arrive, d'être content de s'attacher. mais parfois, on cherche la clé et elle a disparue. et puis malgré tous nos efforts, tous les coups de pioche, toutes les scies, on peut pas s'en sortir. notre petit boulet nous suit, de loin ou d'un peu trop près. parfois, j'arrive à t'oublier pour un temps. ça fait du bien, je sens enfin la liberté. mes jambes douces courir à travers les champs, mes pieds si légers que je me sens m'envoler. et puis, boum, tu me ramènes au sol. tu m'agrippes, m'entailles de tes dents, me rappelle la douleur de ton poids. j'sais pas pourquoi j'étais heureuse d'être en prison. j'me sentais pas en prison, peut-être. même quand j'ai reçu ma permission de sortie, j'ai pas eu envie de partir. chaque nuit, j'rêvai à notre prison. en fait, ma prison, ton terrain de jeux. c'est comme si j'faisais tout pour ignorer la porte ouverte que tu m'avais laissée. j'me cachais les yeux chaque fois que j'passais devant, j'me bouchais les oreilles en chantant chaque fois qu'on m'en parlait. j'aurais pu partir n'importe quand, mais j'ai délibérément choisi de rester. syndrome de Stockholm, sans l'assaillant méchant qui me retient. syndrome de Stockholm, mais en liberté. mais quand j'ai revu les lieux, j'ai eu mal au cœur et que j'ai voulu partir en courant. c'est là que j'me suis rendu compte que toi, petit boulet, tu me faisais trop mal pour rien. j'avais enfin échappé les grilles et les caméras de surveillance, mais j'avais encore le goût amer du fer en bouche, et enchainé à la cheville. peut-être que j'aurai toujours les marques de tes dents sur ma peau, et que parfois je rêverai au poids de ton corps sur le mien, mais j'ai plus envie de t'avoir tout près. j'ai pas envie que tout le monde sache que je suis encore prisonnière. parce que je le suis pas, plus. alors c'est le temps que j'agisse enfin comme tel. pars, petit boulet, pars. j'trouverai un autre délit à commettre pour te revoir. jusque là, j'espère ne plus jamais t'être enchainée.
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Marjorie BérubéJ'écris pour calmer les tempêtes dans ma tête et pour faire le ménage dans les mots qui s'y entrechoquent. Archives
Décembre 2019
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