ils disent que quand tu changes de langue, tu changes souvent aussi de personnalité. j'aime bien cette idée. comme si ton cerveau changeait de cassette en changeant de langage. je crois qu'on est le plus soi-même dans notre langue maternelle, au départ en tout cas. c'est normal, c'est avec cette langue qu'on apprend tout. ce qui nous entoure, ce qui est en dedans de nous, ce qu'on ne peut saisir. j'aime cette expression, la langue maternelle. c'est elle qui nous engendre, elle fait partie de nous, car nous avons été partie d'elle. mais avec les années, on commence à avoir deux mots pour une même réalité. certains grandissent même avec plusieurs mots pour une même réalité, ceux-là, je sais pas qui ils sont. j'espère qu'ils le savent, eux. je crois qu'ils choisissent quand même une langue qui les rend le plus aisé, celle dans laquelle ils se reconnaissent le plus. pour moi, c'est assez clair. en français, j'ai même pas besoin de réfléchir. mes doigts courent seuls sur le clavier, ma main guide le crayon machinalement, comme si mon cerveau n'avait pas besoin d'assister à la réunion pour que les décisions se prennent. ma langue maternelle fait de moi une peintre, une sculptrice, une artiste. je plonge l'empreinte de mes doigts, l'essence de mon art, de mon âme, dans cette multitude de couleurs, je ferme les yeux et je laisse mon cœur se vider, s'exprimer. les couleurs sont toujours plus vives, les agencements toujours plus justes, les contrastes toujours plus frappants. le français est pour moi une palette de peinture inépuisable, une palette qui se réapprovisionne indéfiniment. quand je dis quelque chose en français, quelque chose de difficile, de beau, d'épeurant, c'est toujours plus vrai, ça vient toujours d'un peu plus loin. l'anglais pour moi, c'est une veste pare-balles, une vitre protectrice, un filtre. la Marjorie anglaise peut dire n'importe quoi et c'est comme si la Marjorie française ne le ressentait pas. comme si les mots avaient moins de signification. comme si les autres langues n'avaient aucune racine, aucun attachement sentimental pour moi. je cache mes émotions derrière des mots d'une autre langue. les racines du français sont profondes, enracinées dans le noyau de mon être. ses bourgeons fleurissent à chaque printemps, rendant mon monde plus coloré et plus vivant. j'ai les racines françaises sous la peau et les fleurs peintes sur mon canevas. le français est si près de mon cœur, tout collé contre ses parois, une oreille attentive pour y percevoir chaque battement. ceux-ci vibrent en moi, font vivre mon corps, mais font valser mes mots. à chaque pulsation de vie, un mot surgit. le français s'écrit romantique, se parle amoureusement, s'écoute musicalement. toutes les langues sont incroyables, savoir en parler d'autres me fascine. beaucoup de gens n'ont pas cette relation avec les mots, et j'espère un jour tomber amoureuse. en anglais, en espagnol, ou même en allemand. mais le français est et sera toujours la plus belle invention du monde à mes yeux. probablement que si ma première langue avait été différente j'aurais la même opinion, j'admirerai les autres, mais je préfèrerai la mienne. ce n'est pas une question de français, d'anglais, d'italien ou de russe. le mot important dans l'expression langue maternelle est mère, pas langue. c'est une question de ce qui fait vibrer ton âme. je fais partie de cette poignée de chanceux qui savent penser dans une ou plusieurs langues, à différents niveaux. je sais comment penser, fonctionner. mais rien, rien ne sait décrire mon cœur comme le français. je ne sais qu'aimer en français.
2 Commentaires
Laura Desjardins
6/23/2017 05:11:32 am
Peut-être que pour qu'une langue prenne racine, il faut la vivre plus que la parler! Je crois que c'est pour cela que l'espagnol résonne plus en moi que l'anglais. J'ai habité en Espagne, j'ai voyagé au Pérou, au Mexique... L'espagnol pour moi c'est aussi des gens, des endroits, des cultures, des vies.
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Madge
6/23/2017 10:23:53 am
oui, je suis bien d'accord. quand on vit suffisamment longtemps avec des gens d'une autre culture, d'une autre langue, on ne voit plus la langue mais bien les vies.
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Marjorie BérubéJ'écris pour calmer les tempêtes dans ma tête et pour faire le ménage dans les mots qui s'y entrechoquent. Archives
Décembre 2019
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