moi qui ne te racontait presque rien,
nous qui n'avions de conversations que par l'entremise de maman au bout de la table, j'ai envie de te dire tellement de choses, chaque jour. tu n'as jamais eu peur des mots, alors voici les miens. pour toi, pour cette version de toi que je maintiens en vie avec ces fils branchés de souvenirs, cette version que je continuerai toujours à faire vivre dans mon cœur. parce que tant qu'il bat, tu y auras maison. je me rappelle cette jupe que je portais voilà déjà 6 mois. un pagne qui me rappelait le costume de mon super-héros préféré. je me préoccupais plus de sa mort fictive que de ta vie, à ce moment. je me rappelle de tout avec tant de précision, mais au ralenti. comme dans les films. tu avais réussi à me construire une dernière intrigue, à échafauder ta dernière mise en scène. c'est vrai qu'avec le temps, la blessure se referme, s'estompe. je pense toujours à toi, différemment. mais j'ai toujours autant envie que tu sois fier de moi, que tu saches qui je deviens. on est allé voir tous les spectacles que tu avais réservés. j'aurais aimé que tu les vois, j'aurais aimé que tu viennes voir émile avec moi. entendre ton opinion sur sa poésie, sur son talent. j'aurais aimé partager tellement plus d'art futur avec toi. parce que t'avais beau dire le contraire, mon art me vient de toi, p'pa. et tu l'alimentais tellement. peut-être même qu'en partant, tu m'as laissé tous les mots qui te restaient. je suis inscrite à l'uni, pour écrire comme toi tu aurais voulu faire. j'ai une nouvelle job, je fais mes cours de conduite, (j'ai fait une égratignure sur ton char, oups.) j'ai encore plus de trous dans les oreilles, pis trois dessins indélébiles sur ma peau. un qui est comme le tien, celui que t'avais fait un peu pour moi. j'ai appris plein de choses, me semble, dans les derniers 6 mois. je pense souvent à une anecdote qui m'a beaucoup fait réfléchir. c'est la presque unique fois de ma vie où on a fait quelque chose ensemble, juste pour nous deux, juste nous deux. --- Quelques jours avant le 31 octobre 2018. Je suis assise sur le divan, l’ordinateur sur les cuisses. Papa sur sa chaise devant moi, maman varnousse dans la cuisine. Soirée habituelle chez les Bérubé. Sur mon écran, je vois le doux visage de Benoit McGinnis sur une affiche de spectacle. La pièce Des souris et des hommes commence ses représentations bientôt. Moi, dans mon grand amour des célébrités et de leur talent, je jalouse. Maudit que les Montréalais sont chanceux là-dessus. Ils ont toutes les vedettes de la télé au théâtre, eux. Moi, j’aime bien les acteurs du Québec, et y’en a deux trois à la télé que j’aimerais bien voir en vrai, mettons. D’habitude, j’essaie de pas prolonger ma douleur. J’essaie de pas tourner le couteau dans la plaie. Dans ma tête, tout me crie que ça peut juste PAS marcher. C’est à trois heures de route, c’est cher, c’est loin, pis c’est juste pas possible. Ça marche jamais, de toute façon, ma déception me crie. Mais mon petit cœur tout excité guide mes doigts, les poussent à cliquer, à m’informer. Pis là, je lâche : « Hein, p’pa, Benoit McGinnis joue dans une pièce bientôt! » Mon papa sait que je l’aime. Chaque fois qu’il chante à En direct de l’univers, qu’il joue dans une émission, qu’il apparait dans un talk-show, j’ai les yeux en feu pis je fais un bruit de souris écrasée dans une porte. Squiiiiiiiiick. Mais mon papa sait aussi que je fais ce bruit là bin souvent, en regardant la télé. Fac, la plupart du temps, il m’écoute capoter un peu pis il passe à un autre appel. Cette fois-là, sans se retourner, il me demande, détaché : « C’est quelle pièce? » Moi, je sais qu’il connait l'histoire – toute personne aussi éduquée que mon père la connait – mais je sais pas s’il l’AIME. « Des souris et des hommes. » Il me répète. « Ah…c’est beau ça. » Marjorie : 1. Contre qui j’me bats? Je sais pas, mais je marque des points. Papa : « C’est où? » Merde. Le moment fatidique où il va me dire non. J’avais pas encore nourri l’espoir d’y aller, mais c’est là que mon chien mourrait. Moi : « ….Montréal….Tu viendrais pas avec moi? » Je sais que j’aurais dû lancer la question à l’affirmative, que c’est plus encourageant. Mais à ce moment-là, mon cerveau dérape. J’ai le cœur qui bat trop vite. « On verra. » Okay, c’est pas perdu. Parce que si j’ai planté l’idée dans sa tête, c’est presque gagné. Il va y penser, faire ses recherches, pis il va tout régler. Checkez-le bin aller mon père. Le lendemain, ou le surlendemain je sais pu pis c’est pas important, mon père m’appelle pendant ma pause. Il me demande quand je suis dispo pour aller à Montréal. « Hein? » « Choisi une date entre mercredi pis jeudi, pis on y va. » On règle les dates pis les prix, pis c’est juste ça. « Okay, fac on va voir Benoit McGinnis là? » Oui. On va voir Benoit. Papa avait tout régler, en un clin d’œil. Le 31 octobre, on embarque dans le char, je branche mon Spotify pis on roule. On rit dans le char, on chante les tounes que même mon père connait. Moi, je porte pu à terre. J’ai pas beaucoup de rêves, pis j’en ai beaucoup de futiles, mais voir des artistes sensibles qui acceptent avec vulnérabilité de se présenter chaque soir pendant quelques semaines, moi, j’admire ça. Pis j'aime juste ça savoir qu'ils existent comme moi. Savoir que ma tête me joue pas plus de tours que ceux auxquels je crois déjà. Juste admirer en vrai leur talent (pis leur face des fois aussi, okay? au moins je suis honnête.) La pièce commence, je respire pu. Je n’ai d’yeux que pour Benoit McGinnis. Après ce qui me semble être 3 secondes et demie, ils saluent déjà. J’ai les larmes aux yeux parce que la fin est touchante, parce que c’est fini, parce que Benoit me regarde dans les yeux même s’il me voit pas, parce que je suis tellement contente, parce que. Ce soir, quelques mois et bien des poussières plus tard, j’ai les larmes aux yeux parce que c’était ça, mon papa. Cette intensité, cette fougue. Faire 6 heures de route pour rendre sa fille heureuse pour 1h30. Planifier tout vitement, sans regarder au temps ni à l’argent. J’aurais voulu plus me rappeler de sa présence à mes côtés à ce moment-là. Je me rappelle avoir attendu avec lui dans la Place des arts, avoir parlé avec une madame du livre qu'elle lisait. Je me rappelle sa facilité à entamer des conversations avec n'importe qui quand il attendait quelque part. Je me rappelle être partie aux toilettes et avoir retrouvée la forme rassurante de son dos au même endroit où je l'avais quittée. Je me rappelle attendre dans le hall, debout contre le bar vide. Je me rappelle sa respiration forte, sa présence costaude dans le siège à ma droite. Mais bizarrement, j'ai l'impression d'avoir retenu peu de choses. Pendant qu’il vivait sa dernière pièce de théâtre, son dernier spectacle. Le rideau était presque tombé sur sa vie, sur notre relation, et moi je n’avais d’yeux que pour un inconnu. --- je suis encore la même marmotte, ta plus jeune qui rêve de devenir une artiste. qui rêve d'écrire sans arrêt et de faire rêver les autres. mais une partie de mon cœur est mort avec toi le 18 décembre, et une partie de ma vie s'est refermée sur ta tombe, le 28.
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Marjorie BérubéJ'écris pour calmer les tempêtes dans ma tête et pour faire le ménage dans les mots qui s'y entrechoquent. Archives
Décembre 2019
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